Sur un marché de l’emploi officinal tendu, les titulaires peuvent être tentés de recruter du personnel qualifié à des postes en inadéquation avec leur diplôme, en dehors du cadre réglementaire. Pour pallier notamment la pénurie de préparateurs en pharmacie (lire page 14), ce recours peut apparaître comme une solution temporaire ou transitoire, en attendant de pouvoir embaucher un autre candidat ou de régulariser la situation. Une affaire de quelques semaines ou quelques mois. Mais le risque peut se révéler bien plus élevé qu’anticipé pour l’employeur – jusqu’à une condamnation pénale. « Sur le terrain, certains de mes clients pharmaciens ont été confrontés à des flous juridiques sans le savoir, il n’est pas inutile de rappeler ces situations », estime Me Sébastien Beaugendre, avocat au barreau de Paris (cabinet Hubert Bensoussan & Associés).
Pour l’Union nationale des pharmacies de France (UNPF), l’avocat a identifié plusieurs cas de figure non prévus dans les textes. Premier cas auquel il a été confronté : un titulaire embauche un ancien confrère qui, pour diverses raisons, n’est plus inscrit au tableau de la section A, ni à celui de la section D, en lui proposant un poste de préparateur en pharmacie. Dans son esprit, « le confrère étant titulaire d’un doctorat en pharmacie, il peut, a fortiori, exercer des fonctions requérant des compétences moindres », estime Me Sébastien Beaugendre. Pourtant, aucune disposition expresse n’énonce qu’un docteur en pharmacie est autorisé à exercer en tant que préparateur. Cette situation n’est pas envisagée dans l’art. L 4241-10 et D4241-1 du Code de la santé publique.
Seul un titulaire d’un « DEUST spécialité préparateur/technicien en pharmacie » ou d’un « Brevet professionnel de préparateur en pharmacie » (pour les diplômés d’avant 2023) peut exercer en tant que préparateur de pharmacie. En cas de procédure pénale, « le pharmacien diplômé embauché peut être jugé pour exercice illégal de la profession de préparateur en pharmacie et le titulaire, qui l’a embauché, peut être jugé pour complicité, alerte Me Sébastien Beaugendre. Le juge peut en effet privilégier une lecture des textes au pied de la lettre. »
Deuxième type de situation : un étudiant en pharmacie qui ne se serait pas inscrit en faculté pendant une année ne peut pas travailler en officine. À compter de sa troisième année, s’il a validé son stage, un étudiant peut effectuer des remplacements, dans un cadre précis et à condition qu’il soit dûment inscrit à la faculté de pharmacie. A contrario, une étudiante enceinte en quatrième année qui prendrait quelques mois pour accueillir son enfant, mais souhaiterait travailler à temps partiel, ne le pourrait pas sans avoir le statut d’étudiante. « Et pourtant, elle a un niveau de compétence supérieur à l’étudiant de troisième année », note l’avocat.
Toute inscription au tableau de l’Ordre est obligatoire pour exercer
Faut-il pour autant modifier les textes ? Me Beaugendre estime que oui. Il propose d’ajouter un alinéa dans la liste des diplômes pour pouvoir exercer le métier de préparateur rédigé ainsi : « Toute personne justifiant avoir réalisé au moins trois années d’études en pharmacie lui ayant conféré le grade de licence, bénéficie de plein droit d’une équivalence lui permettant l’exercice de la profession de préparateur de pharmacie. » A fortiori si cette personne détient un doctorat de pharmacie.
Cette proposition n’est pas sans soulever quelques questions pour Christelle Degrelle, préparatrice en pharmacie et représentante CFE- CGC : « pour quelle raison un adjoint, qui touche un meilleur salaire, souhaiterait-il prendre un poste de préparateur en pharmacie ? » Une telle disposition pourrait même être risquée pour les adjoints, car elle pourrait entraîner leur rétrogradation. « S’il arrive un jour que les adjoints seront trop nombreux, les titulaires pourraient leur proposer directement un poste de préparateur », ajoute David Brousseau, secrétaire fédéral FO de la pharmacie d’officine. Quand à l’équivalence à partir de la troisième année de pharmacie, elle leur semble aberrante. « Ce ne sont pas les mêmes études parce que ce n’est pas le même métier, lance Christelle Degrelle. Un préparateur acquiert une expérience de terrain que n’ont pas les étudiants en pharmacie au bout de trois ans. Ils ne sont pas formés en pharmacologie, en physiopathologie. Personne dans la profession ne soutiendrait une telle mesure. »
Dans son mémo pour l’Union nationale des pharmacies de France (UNPF), Me Beaugendre cite un dernier cas : un pharmacien adjoint a déposé son dossier pour être inscrit au tableau de l’Ordre national des pharmaciens en section D. Mais l’instruction des pièces prend du temps. Le délai varie d’une section à l’autre, d’un dossier à l’autre. « Prenons le cas d’un titulaire qui a besoin de son adjoint et détient la confirmation qu’il a déposé son dossier, il décide de le faire travailler en espérant une certaine tolérance du juge », expose l’avocat. Mais, là aussi, il s’expose à une condamnation. Le Conseil national de l’Ordre des pharmaciens (CNOP) est clair : Toute inscription est obligatoire pour exercer la profession de pharmacien. Me Beaugendre propose cependant d’insérer dans le dispositif légal et réglementaire une disposition selon laquelle « tout docteur en pharmacie ayant déposé auprès du Conseil national de l’Ordre des pharmaciens une demande d’inscription en qualité de pharmacien adjoint peut, pendant l’instruction de son dossier, exercer cette profession à titre temporaire ». L’Ordre n’a pas souhaité commenter cette proposition.
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