Les chiffres sont éloquents. Entre janvier et septembre, plus de 200 officines ont définitivement baissé le rideau selon le décompte d’Action pharmacie rurale (APR), entité récemment relancée par la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF). Parmi ces officines aujourd’hui disparues, 29 étaient les seules de leur commune, dont 25 installées dans des bourgs ruraux, en secteur rural à habitat dispersé ou très dispersé. Boiscommun, 1 100 habitants, Plounevez-Moëdec, 1 500 habitants, Arpaillargues-et-Aureillac, 1 000 habitants, Saint-Désiré, 400 habitants… Autant de villages qui ont perdu leur unique officine au cours des derniers mois, du fait de regroupements ou de « fermetures sèches ». Un peu partout en France, d’autres pharmacies rurales sont aussi en sursis…
Les contraintes qui pèsent sur les officines rurales sont nombreuses et auraient de quoi dissuader les pharmaciens les plus motivés
Les problèmes économiques, la difficulté à mettre en œuvre les nouvelles missions souvent à cause d’un manque de personnel, les horaires à rallonge, les gardes à assurer parfois jusqu’à une semaine par mois, la baisse du plafond de remise sur les génériques (aujourd’hui suspendue mais pas encore définitivement écartée)… les contraintes qui pèsent sur ces officines rurales sont nombreuses et auraient de quoi dissuader les pharmaciens les plus motivés. Pourtant, sur le terrain, des officinaux continuent de faire le choix de la ruralité. Si ce n’est pas toujours par vocation au départ, ils reconnaissent y exercer un métier finalement plus proche de leurs convictions et s’épanouissent en offrant un service essentiel à la population.
Deux facteurs indispensables : les aides à l’installation et la présence d’un médecin
En décembre 2020, Sophie Loreaux, jusqu'alors adjointe à Vesoul, décide de s'installer à Beaujeu, petit village de Haute-Saône de 900 habitants où le titulaire, 70 ans au moment des faits, voulait prendre sa retraite. « Je ne cherchais pas spécifiquement à m'installer en milieu rural. Pour des raisons financières, mais aussi parce que j'ai décelé dans cette officine un certain potentiel, j'ai sauté le pas. » Au moment de la cession, la pharmacie réalise un chiffre d'affaires de 1,3 million d’euros. Sophie Loreaux l'acquiert pour 740 000 euros. « J'ai bénéficié de plusieurs aides. La commune est en zone de revitalisation rurale (ZRR), donc j’ai bénéficié d’une exonération d'impôt pendant 5 ans. J'ai eu un prêt à taux 0 de 30 000 euros dans le cadre de l'initiative Haute-Saône géré par la chambre de commerce et j'ai pu compter sur le dispositif démission-reconversion de Pôle emploi (aujourd’hui France Travail), qui m'a permis de toucher une allocation chômage, sans quoi il aurait été difficile de me rémunérer dans les premiers temps. » La titulaire en convient, sans ces aides, son projet de reprise n'aurait certainement pas pu aller au bout. « Ce qui m'a convaincu c'est aussi le projet de la mairie de construire une maison médicale juste à côté de l'officine. Jusqu'à récemment, il y avait une médecin qui travaillait seulement 3 jours par semaine au village. Aujourd'hui, il y a un médecin salarié présent 35 heures par semaine. Sans cela, il est aussi évident que je ne serais pas venue. »
Aidée par deux préparatrices au début de l'aventure, la pharmacienne a ensuite pu recruter une adjointe à temps partiel. « Avec elle, nous avons pu développer de nouvelles missions : entretiens, bilans personnels de médication, TROD… Malheureusement, pour des raisons financières, je ne pouvais lui proposer un temps plein. » L'adjointe a depuis quitté la pharmacie et les nouvelles missions sont en pause. « Seule je ne peux pas les mettre en place. Pourtant, je suis convaincue qu'il est indispensable pour moi de faire ces nouvelles missions, y compris sur le plan économique. » Depuis son arrivée, elle a réalisé de nombreux travaux pour transformer l'établissement, qui avait bien besoin d'un bon rafraîchissement. « Nous avons créé une salle de vaccination, agrandi l'espace pour le public afin de proposer plus de gammes, plus de para, plus de phyto… » Une modernisation qui a permis d'attirer une nouvelle patientèle mais malgré ses efforts, Sophie Loreaux reconnaît que ses ambitions de départ ne sont pas atteintes. « Mon chiffre d'affaires est légèrement inférieur aujourd'hui par rapport à son niveau d’il y a 5 ans et je ne parviens pas vraiment à l'expliquer. Je suis à l'équilibre en fin d'année, je ne fais pas de bénéfices. Si la mesure sur les remises génériques n'avait pas été suspendue, j'aurais perdu 15 000 euros par an, cela aurait été catastrophique. »
Si le médecin s'en va ou si le contrat que j'ai avec l'EHPAD voisin prend fin, cela remet tout en cause
Sophie Loreaux, titulaire à Beaujeu en Haute-Saône
Autre contrainte, celle de vivre en permanence avec une épée de Damoclès au-dessus de la tête. L'avenir de son officine est en effet conditionné à un élément sur lequel elle n'a pas de prise : l'environnement médical autour d'elle. « Si le médecin s'en va ou si le contrat que j'ai avec l'EHPAD voisin prend fin, cela remet tout en cause », admet-elle. Malgré les difficultés, elle se dit aujourd'hui épanouie dans son travail. « Je me projette sur le long terme et je reste positive pour l'avenir. La patientèle est sympathique, on sent cette reconnaissance que l'on perçoit beaucoup moins en ville », tient-elle à souligner.
Prix plus bas, qualité des conditions d’exercice : les atouts des officines rurales
Malgré un contexte pesant, de jeunes diplômés décident encore aujourd’hui de venir s’installer dans de petits villages pour commencer leur carrière de titulaire. Depuis le mois d'avril, Adel Boughlita est ainsi le nouveau titulaire de la pharmacie de Brossac, village de 500 habitants en Charente. Une progression express pour ce pharmacien de 34 ans, diplômé de la faculté de Montpellier en 2022. Adjoint pendant un peu plus d'un an dans la ville où il a fait ses études, il a tout de suite nourri l'ambition d'être à la tête de sa propre officine. « Je me suis renseigné sur plusieurs pharmacies rurales. Il y avait bien sûr une raison économique car je ne disposais pas d'un budget important mais exercer à la campagne m'attirait également. Ce que j'aime, c'est être au comptoir. » Lorsqu'il entreprend ses démarches, Adel Boughlita ne se fixe pas de barrières au niveau géographique, il prospecte large. « Quand on veut s'installer et qu'on est jeune il faut être prêt à partir loin. Aucun contact n'a abouti dans un premier temps, mon projet ne semblait pas assez sérieux auprès de certains titulaires, sans que j'en comprenne la raison », raconte-t-il.
Déterminé à mener son projet à bien, il décide de passer par une agence spécialisée dans l'acquisition d'officines. « C'est par ce moyen que je suis entré en contact avec la pharmacienne de Brossac, qui voulait partir à la retraite et cherchait un repreneur depuis déjà pas mal de temps. » L'appel à cet intermédiaire n'est cependant pas neutre au niveau financier. « Cela m'a coûté plus cher que l'achat de la pharmacie en elle-même », explique-t-il. L'officinal estime que l’ensemble de son projet, en incluant donc le prix de l’officine, lui a coûté environ 300 000 euros. La pharmacie de Brossac réalise, elle, un chiffre d'affaires de 1,2 million d'euros. Pour les titulaires de pharmacies en secteur rural à la recherche de repreneurs, baisser le prix de vente est aujourd’hui quasi-inévitable. Selon l’étude sur les prix de cession des pharmacies en 2024 menée par le cabinet spécialisé Interfimo, « les petites officines (moins de 1,2 million d’euros de CA) ont vu leur prix chuter à 54 % du chiffre d’affaires, un niveau historiquement bas ». Si la tendance actuelle montre une baisse généralisée des prix de cession des pharmacies, on observe bien une « accentuation pour les petites officines et une concentration sur les grandes pharmacies plus rentables », note l’étude d’Interfimo. Selon cette dernière, les « petites » pharmacies rurales sont tout de même les seules à avoir vu leur valorisation progresser en 2024. À 58 % de leur chiffre d’affaires, elles gagnent non seulement trois points mais elles se situent au-dessus de la moyenne.
Des pharmacies rurales plus attractives que d’autres
Pour les candidats à la reprise d’une pharmacie rurale, les prix très attractifs de certaines d’entre elles peuvent constituer de bonnes opportunités, mais pas toujours. « Durant mes recherches, j'ai vu de nombreuses officines dont le prix de vente était très bas, y compris à un euro symbolique, mais qui n'offrait pas de perspectives, explique par exemple Adel Boughlita. Celle de Brossac a beaucoup de potentiel. La patientèle ne vient pas que du village mais aussi des communes alentour, nous recevons près de 80 patients par jour. L'officine a survécu longtemps alors qu'il n'y avait pas de médecin au village, ce qui prouve aussi sa solidité. On peut se garer facilement à proximité ce qui est aussi important. » Il y a aussi des possibilités d'évolution, notamment la perspective d'y mettre en place de nouvelles missions qui n'étaient pas proposées par la précédente titulaire. « Si on constate que le titulaire fait son maximum mais réalise peu de bénéfices, cela doit alerter », prévient-il également.
Adel Boughlita, qui travaille aujourd'hui avec deux préparatrices mais sans adjoint, a désormais une priorité, développer son officine dans laquelle il se projette sur le long terme, malgré les inquiétudes causées par le projet de baisse du plafond de remise des génériques et les baisses de prix sur ces médicaments. « La pharmacie de Brossac fonctionne très bien, elle est la preuve que les officines rurales ne sont pas mortes », veut-il souligner.
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