Pas vraiment une victoire, la suspension de l’arrêté du 4 août 2025 qui revoit à la baisse le plafond des remises sur les médicaments génériques. Dans l’attente d’une décision définitive, les investissements, les précommandes, les embauches, les transactions, les développements de nouvelles missions… « tout est bloqué », indique Bruno Galan, récemment élu président de la section A (titulaires) de l’Ordre des pharmaciens. L’instabilité politique n’aide pas. « On nage dans un flou artistique complet », résume Jérôme Parésys-Barbier, président de la section D (adjoints).
Les élus ordinaux des sections A, D et E (Outre-mer) sont inquiets. La baisse des remises génériques provoquera indéniablement une perte économique pour les pharmacies, dans un contexte d’accélération des fermetures d’officines, notamment en territoires dits fragiles. « La mesure va créer des disparités dans les territoires et accentuer les déserts médicaux, expose Bruno Galan. Et les déserts médicaux, je connais. Je suis titulaire dans une commune de 4 000 habitants où il n’y avait pas de médecins jusqu’à début octobre. J’ai vu le désarroi de mes patients. Dans un désert médical, c’est terrible, les gens sont désespérés. Ils se sentent abandonnés, ils ne comprennent pas. Si vous ajoutez des déserts pharmaceutiques aux déserts médicaux, c’est la catastrophe. »
Des équipes fragilisées
Pour Jérôme Parésys-Barbier, « on est à un tel point de déstabiliser les officines partout en France, qu'on ne pouvait pas ne pas réagir. »Le président de la section D plante le décor : « On fragilise le maillage, on fragilise la santé publique, et les adjoints se demandent ce qu’ils vont faire. Ils sont inquiets pour l’avenir des officines et pour leur avenir. »
Dans les territoires d’Outre-mer, il faut aussi ajouter d’autres difficultés : approvisionnement en produits de santé plus complexe et plus long, lieux très reculés avec difficultés d’accès, population en dessous de seuil de pauvreté, coefficients de majoration insuffisants sur la rémunération… « Si on abaisse le plafond sur les remises de 10 %, un quart des officines en outre-mer ne seront plus rentables, ce qui va réduire davantage le réseau, démontre Claude Marodon, membre de la section E et installé à La Réunion. On répond aux objectifs de qualité, on nous a demandé de réaliser plusieurs missions, et on a été preneurs : la vaccination contre le chikungunya à Mayotte et à La Réunion a très bien fonctionné grâce aux pharmaciens. On voit donc la limite si des officines ferment ! » Sans compter les évènements climatiques : après le cyclone Chido qui a dévasté Mayotte fin 2024, la logistique de la pharmacie a montré son utilité sur place.
Côté titulaires, c’est aussi l’inquiétude : baisse de la marge, baisses des remises sur les médicaments génériques qui représente une part importante de la rémunération des officines, nouvelle déclaration fiscale… L’entreprise officinale est fragilisée. « L'enjeu, c’est aussi pour les adjoints. C'est vrai qu’ils peuvent être les premiers qui, par répercussion, risquent de perdre leur emploi, déplore Bruno Galan. Aussi, alors que l’attractivité des métiers est une priorité, « comment voulez-vous faire comprendre aux jeunes générations à la fois qu’il faut choisir la profession de pharmacien car c’est un beau métier, et en même temps leur dire que, puisqu’ils n’ont pas choisi les bons territoires, ce n’est plus la peine de venir ? », interroge Jérôme Parésys-Barbier.
« C'est pour ces raisons que représentants des titulaires, des adjoints et des pharmaciens d’Outre-mer, nous faisons front commun, explique Bruno Galan. Parce qu'une fois qu’il s’est séparé de son adjoint, le titulaire ne peut faire face. On ne peut plus assurer les missions ! »
Front commun
Depuis le mois de juillet, les élus des sections A, D et E mènent plusieurs actions de terrain pour alerter des risques sur le maillage : envoi d’un courrier co-écrit par les présidents de section A et D à tous les parlementaires, envoi d’un courrier aux titulaires ainsi qu’aux adjoints, lettre ouverte cosignée par Bruno Galan et Carine Wolf-Thal, présidente de l’Ordre, au Premier ministre et aux parlementaires, rencontres avec des personnalités politiques… En octobre, les ordinaux seront également sur le pont pour un « Tour de France » visant à rencontrer et à alerter les élus locaux sur la situation des officines rurales dans leurs territoires.
Ils ont aussi des solutions. Les présidents de section appellent à généraliser les antennes de pharmacie. « Dans plusieurs régions, on pourrait encore sauver certaines officines mais on ne le fait pas parce qu’elles ne se situent pas dans les quatre régions expérimentatrices », explique Jérôme Parésys-Barbier. « Le problème de l'antenne, c'est de trouver des pharmacies mères qui la chapeautent. Mais celles qui voudraient créer une antenne dans les autres régions, aujourd’hui, sont déçues », déplore Bruno Galan. Il peut déjà en témoigner : « En Occitanie, nous avons trois antennes dont deux qui sont déjà ouvertes, et vraiment, ce dispositif fonctionne. »
Autre évidence, il faut généraliser l’expérimentation OSyS (Orientation dans le SYstème de Soins). « On l’a suffisamment montré, l’expérimentation fonctionne », insiste Jérôme Parésys-Barbier. En outre-mer, les pharmaciens ont aussi une longueur d’avance sur d’autres missions : dépistage et prévention de pathologies cardiovasculaires, de parasitoses, du chikungunya ou de la dengue, des addictions, de l’illettrisme… « Nous sommes le laboratoire de ce qui va se passer en métropole à cause notamment du réchauffement climatique », rapporte Claude Marodon.
Reste à trouver des leviers économiques, qui peuvent déjà passer par le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2026. Il est urgent de donner plus de moyens aux officinaux, déjà pour éviter « le phénomène de financiarisation sauvage », selon Jérôme Parésys-Barbier, qui a bien une première solution : que les adjoints puissent davantage entrer au capital des officines, aujourd’hui plafonné à 10 %. « On a besoin de rassurer les adjoints parce que, je le rappelle, dans notre questionnaire de janvier 2025, plus de 30 % des adjoints disaient arrêter ce métier si dans 5 ans, rien ne change. En même temps, 43 % veulent prendre des parts dans les officines et 22 % seulement souhaitent devenir titulaires. Ils veulent être partenaires, ils veulent organiser les choses, mais il faut qu'on leur donne la possibilité de rentrer dans le capital d'une manière convenable, s'ils le souhaitent avec leurs titulaires, explique-t-il. En plus, on ferait une pierre deux coups : l’entrée au capital des adjoints permet le maintien des officines dans les territoires. »
« C’est comme pour les antennes de pharmacie, laissons faire les choses, poursuit le représentant de la section D. Les ordres régionaux seront là pour continuer à vérifier, contrôler, pour qu'il n'y ait pas de montages abradacabrantesques. »
« Je fais confiance à nos syndicats pour proposer une réforme du modèle économique des officines. Cela pourrait faire partie d’un projet de santé publique pour les “futures présidentielles” », conclut Bruno Galan, avec le soutien des présidents des sections D et E. Pour nous, tout est basé sur la prévention. Mais toutes les mesures de prévention que l'on met en place dans les officines, on ne pourra plus les faire sans rémunération adéquate. »
Ils donnent rendez-vous à la profession en 2026 pour de futurs états généraux de l’officine qu’ils appellent de leurs vœux.
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