« Aujourd’hui, je n’envisage pas un autre mode d’exercice que le remplacement », déclare Elsa. Depuis qu’elle est diplômée, cette pharmacienne de 36 ans ne s’est jamais posée plus de quelques mois dans une même officine. À son compteur, plus de vingt-cinq pharmacies et des expériences plus ou moins mémorables.
Un choix assumé.
Si l’idée de s’installer l’a effleurée au début de sa carrière, elle n’est plus au programme d’Elsa : « je n’ai pas choisi d’être remplaçante. Mais je me rends compte que c’est ce qui me convient le mieux. Il me permet de pratiquer mon métier tel que je le conçois et selon mes valeurs, c’est-à-dire centré sur les patients et en toute indépendance professionnelle. » Particulièrement attachée à sa liberté, Elsa écrit sur son site Internet avoir fait « de l’itinérance officinale » sa spécialité : « Au début, je répondais aux annonces mais c’est vite devenu ingérable. D’autant plus que je répétais toujours la même chose : mes formations, mes compétences… Ce site fait gagner du temps à tout le monde et permet de mieux me connaître. »
Un camion et c’est parti.
Le CDI à trente-cinq heures par semaine, la routine… très peu pour Elsa. « Avec les remplacements, je choisis mon rythme, ce qui me permet de faire d’autres choses en parallèle. Me former et m’informer par exemple, pour maintenir mes connaissances à niveau. Je ne pourrais pas le faire autant si j’étais à temps plein. » En septembre, elle a décidé d’acheter un véhicule aménagé pour faciliter ses déplacements professionnels : « malheureusement, les logements de fonction sont loin d’être tous confortables ; certains sont carrément indécents. Le camion me permet d’aller partout en emportant avec moi ma petite maison. J’adore barouder, rencontrer de nouvelles situations et apporter mes compétences là où il y en a besoin. » La seule exigence est de laisser Elsa garer son véhicule dans un endroit sécurisé.
Des activités complémentaires, au bénéfice des patients
Une pharmacienne hors norme ; c’est ainsi qu’Elsa aime se décrire. Comme elle, Saad a un parcours atypique. Pharmacien de réserve au sein de l’armée, le jeune homme de 29 ans s’est spécialisé en oncologie clinique et assure des permanences dans un hôpital militaire en région parisienne deux jours par semaine. Il est également formateur au sein de la société Pharmaconsulting, avec des déplacements dans la France entière : « un poste d’adjoint, même à temps partiel, ne me permettrait pas d’articuler toutes mes fonctions. Avec les remplacements, il n’y a pas de problème. » Dans les officines où il intervient régulièrement, Saad met à profit ses compétences acquises dans ses autres activités : « on m’interroge souvent sur la vaccination parce que les équipes savent que j’assure les formations sur ce thème. Il m’arrive aussi d’être sollicité par mes collègues de l’officine pour accompagner des patients ayant un cancer. »
Un autre regard sur les patients
Si par définition les pharmaciens remplaçants ne font que passer, ils n’en sont pas moins exigeants avec la prise en charge des patients. « On m’a déjà fait remarquer que je ne peux pas développer une relation pérenne avec les patients. C’est vrai, mais j’apporte autre chose », s’agace Elsa. « Je ne connais pas leur vie, leurs habitudes, mais le fait d’avoir un regard neuf, sans préjugés, permet d’avoir un œil plus critique sur leur situation médicale. Les patients en sont généralement très satisfaits parce qu’on s’intéresse à eux. En outre, les habitudes peuvent à terme être dangereuses. » Pour Saad, sous-entendre qu’on ne s’occupe pas aussi bien d’une personne parce qu’on ne la connaît pas, est une erreur : « Souvent, les patients me demandent ce que je fais quand je ne remplace pas. Quand je leur explique mes autres activités, ils me répondent qu’ils sont tombés sur la bonne personne et ils me racontent des choses qu’ils n’ont jamais dites au reste de l’équipe. »
Une zone de flou autour de la formation
Passionné par son métier, Jean-Luc propose ses services en tant que remplaçant depuis huit ans et il connaît la plupart des pharmaciens qu’il remplace : « quand j’ai vendu ma pharmacie pour prendre ma retraite, je n’ai pas voulu décrocher totalement. Et vous savez quoi ? C’est maintenant que je prends mon pied. Je me rends compte qu’à ne faire que du comptoir, je suis meilleur en conseil et en accompagnement que quand j’étais titulaire ». Pour cet ancien titulaire, il n’y a qu’une seule ombre au tableau : la formation. « J’ai payé de ma poche ma formation vaccination, pour assurer une prestation complète de remplacement. Pour les TROD, j’ai dit stop. » Le système de financement de la formation des remplaçants ou des adjoints qui exercent par intermittence est incohérent, admet la présidente de l’UNO formation, Marie-Pierre Béranger : « l’OPCO finance la formation uniquement pendant la période couverte par le contrat. En réalité, le pharmacien qui assure le remplacement d’un autre pharmacien ne va pas lui-même s’absenter une journée pour suivre sa formation. » Absurde en effet. Pour répondre partiellement à cette injustice, certains organismes de formation proposent des tarifs préférentiels aux pharmaciens qui doivent autofinancer leur formation. « On demande aux remplaçants d’être opérationnels et d’être en capacité de réaliser la quasi-totalité des missions. Ils ont besoin de se former comme les autres », observe Maryne Thierry Duriot, fondatrice de Pharmaconsulting. Pour Jean-Luc, cette lacune en termes de formation des remplaçants peut compromettre l’efficacité du réseau : « Il faudrait réellement que l’Ordre et les instances en charge de la formation continue se penchent sur ce sujet qui pénalise une partie des pharmaciens. »
Remplaçant un jour, remplaçant toujours ?
« J’ai parfois l’impression que nos représentants ne défendent pas le statut de remplaçants, comme si ce dernier compromettait le modèle de l’équipe officinale stable. C’est ne pas vouloir voir la réalité en face. On a, et on aura, toujours besoin d’avoir un pool de remplaçants dans l’organisation de notre profession », insiste Elsa. Après une période de pause, elle a repris son périple de remplacements à travers la France : « je ne rêve pas d’une vie de famille, j’ai des amis partout en France. Je veux juste être libre dans ma vie comme dans mon métier. » Saad, lui, prévoit de s’inscrire en intérim cet été pour faire davantage de remplacements. « C’est important pour moi de conserver un pied à l’officine, ne serait-ce que pour conserver une légitimité en tant que formateur. »
« La capacité d’adaptation est fondamentale »
Marjorie Puthot, pharmacienne et cofondatrice de 24/7 Services, société d’intérim en pharmacie d’officine

Le Quotidien du pharmacien.- Quel est le profil d’un pharmacien qui choisit d’exercer en intérim ?
Marjorie Puthot.- Les profils sont divers, en âge et en expérience professionnelle. Dans nos équipes, nous comptons des jeunes diplômés qui veulent découvrir différentes officines avant de se fixer, mais aussi des pharmaciens qui décident de poursuivre leur carrière après avoir été titulaires. Ce mode d’exercice leur permet de s’affranchir des contraintes de gestion d’entreprise. Certains font de l’intérim à temps complet ; d’autres choisissent l’intérim en complément d’une activité fixe, pour arrondir les fins de mois mais aussi pour casser la monotonie de la routine. Ce que nous observons chez 24/7 services, c’est que la notion d’entraide est toujours présente. Nos pharmaciens sont tous animés par la volonté de rendre service, de ne pas laisser des confrères en difficulté.
Quelles sont les qualités requises pour être remplaçant ?
La personnalité est importante puisqu’elle détermine le savoir-être. Le remplaçant doit toujours montrer le meilleur de lui-même, être accessible et inspirer la confiance auprès de patients qu’il ne connaît pas. Il doit être réactif pour pouvoir remplacer au pied levé un confrère ou une consœur. La capacité d’adaptation est fondamentale pour s’accorder rapidement à chaque pharmacie et aux équipes. Les remplaçants sont capables d’analyser rapidement le mode de fonctionnement pour se fondre dans la masse, et pour que les patients ne soient pas perturbés par l’arrivée d’un nouvel interlocuteur. Les personnes, qui ont besoin d’un rituel de travail pour se rassurer, ne sont pas faites pour les remplacements. Cela n’a rien à voir avec les compétences ; on peut être un bon pharmacien mais ne pas répondre aux exigences attendues pour être remplaçant. Enfin, chez 24/7 services, nous sommes particulièrement sensibles aux valeurs de la personne.
Le financement de la formation des remplaçants ou des adjoints en CDD n’est pas clair. Pourtant, cette formation est indispensable pour permettre aux adjoints d’être opérationnels et de réaliser la majorité des nouvelles missions qui sont mises en place à l’officine. Quelle réponse apportez-vous ?
Effectivement, le principe de l’intérim est de proposer des pharmaciens (mais aussi des préparateurs) opérationnels immédiatement, en particulier pour assurer la prise en charge des patients. Cela impose de ces professionnels d’être à jour de leurs connaissances, d’être informés des évolutions réglementaires et des nouveaux actes pharmaceutiques tels que les TROD ou la vaccination. C’est également important que ces remplaçants connaissent les nouveautés thérapeutiques et conseils, qu’il s’agisse de médicaments ou de produits de parapharmacie. Cet ensemble constitue la base d’un accompagnement de qualité. Notre leitmotiv est donc d’accompagner nos pharmaciens intérimaires dans la formation, que ce soit le DPC (développement professionnel continu) ou les formations annexes sur les logiciels métiers ou sur des gammes de produits par exemple. Je me suis toujours battue pour que les remplaçants accèdent à un même niveau de formation que les équipes officinales en poste fixe, ce qui implique un financement adapté. Nous avons créé un programme de formation sur mesure, en tenant compte des désirs exprimés par les pharmaciens eux-mêmes. Depuis trois ans, nous proposons des webinaires deux fois par mois, sur des thèmes variés. Ces contenus sont disponibles en replay.
Propos recueillis par David Paitraud
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