C’est un des bénévoles de l’association De Griffioen qui nous ouvre la porte un matin du mois d’août. Ancien dentiste à la retraite, il a les clefs de cet antre qui occupe une des innombrables petites maisons verticales, à l’étroitesse caractéristique, qui bordent les canaux fleuris de Delft, traversés de ponts de pierre. La carte postale est absolument séduisante. Il faut dire que la cité hollandaise est quadrillée de part en part par ces voies d’eau qui font la fierté et la richesse du plat pays. Transport des marchandises, évacuation des eaux, régulation du climat urbain, l’eau est l’or des Pays-Bas. Cette mini-Amsterdam est connue pour sa célèbre porcelaine bleue et blanche (imitée de la porcelaine chinoise au XVIIe siècle) qu’elle a exportée dans l’Europe entière et pour la tombe du peintre Johannes Vermeer (dans la Vieille Église) que les amoureux d’art viennent visiter en pèlerinage. Nichée entre La Haye et Rotterdam, elle incarne l’élégance tranquille des cités hollandaises, rythmée par les façades ouvragées de l’architecture de ses maisons à pignon. Aujourd’hui, le centre administratif et stratégique d’Ikea ainsi que son université technique de renom en font un petit poumon économique et estudiantin relié en quelques coups de pédale de vélo à la triade Amsterdam-La Haye-Rotterdam. Mais on sait moins qu’elle a aussi vu le développement de la science pharmaceutique et de l’invention du microscope, deux domaines intimement liés par leur quête de précision et de soin.
Fondé à partir d’une collection privée
Le Muséum De Griffioen conte justement cette histoire. Fondé à partir d’une collection privée, il rassemble des instruments médicaux, dentaires et pharmaceutiques datant du XVIIe au XXe siècle. Mortiers en bronze, fioles d’apothicaires, trébuchets, alambics, piluliers, pots en faïence de Delft ou albarelli italiens, petites pharmacies de voyage, anciennes armoires à pharmacie remplies de flacons en verre soufflé, vieux comptoir d’apothicaire, premiers modèles de seringue, coffrets homéopathiques, anciennes boîtes de médicaments, premiers modèles de préservatifs en matières diverses… on ne sait plus où donner de la tête tant les objets sont nombreux et passionnants. Notre guide s’attarde devant un immense meuble en bois enfermant des colonnades de tiroirs, un des trésors de la collection, selon lui, car préservant une quantité impressionnante de simples et autres échantillons de plantes et substances réputées magiques, utilisées dans la pharmacopée ancienne.
Les « gapers » servirent d’enseignes pour les droguistes et les apothicaires dans le paysage urbain entre le 17e et le XIXe siècle
Autre curiosité, une rangée de « gapers » (« bailleur » en néerlandais), ces drôles de têtes masculines en bois peint et sculpté tirant la langue, sur laquelle apparaît une pilule, qui servirent d’enseignes pour les droguistes et les apothicaires dans le paysage urbain entre le 17e et le XIXe siècle. Il faut rappeler qu’au Moyen Âge, le commerce mondial des herbes et des épices se situait aux Pays-Bas, s’étendant jusqu’à Bruges, Anvers puis Amsterdam, en contact régulier avec Venise, la Porte de l’Orient, via la célèbre Compagnie néerlandaise des Indes Orientales – c’est pourquoi ces « gapers » sont souvent ornés d’un turban oriental, d’une coiffe de soldat ou d’un costume exotique. Plus tard, ils furent progressivement remplacés par des enseignes à l’effigie de salamandres, griffons ou crocodiles, dont un exemple est aussi conservé dans le musée. Ayant souvent été détruits à cause des intempéries ou des changements de propriétaires, ces objets folkloriques mimant un patient malade tirant la langue, sont donc des curiosités rarissimes. Ils sont également les témoins de l’accès privilégié que les apothicaires hollandais avaient aux épices venues d’Orient.
Éther narcotique et seringue à lavement par la fumée de tabac
La visite se poursuit, on croise du chloroforme et de l’éther narcotique enfermé dans une ampoule, commercialisés par l’entreprise chimique Furnée ou encore une seringue à lavement par la fumée de tabac (plutôt insolite !) dont notre guide nous explique qu’elle était utilisée pour réanimer les victimes de noyade – logiquement nombreuses aux Pays-Bas. Une pipe, un soufflet, du tabac, quelques herbes aromatiques, du savon et le tout dans un coffret prêt à l’emploi pour procéder à l’intrusion de la seringue par l’anus de la victime…
Van Leeuwenhoek fut le premier à documenter le monde invisible, ouvrant la voie à la microbiologie et à l’hygiène moderne
Petit à petit, les guildes d’apothicaires hollandaises, véritables corporations savantes, imposèrent des examens et des normes de qualité, contribuant à la professionnalisation du métier. C’est dans ce contexte que s’inscrit la figure d’Antoni van Leeuwenhoek (1632–1723), natif de Delft et pionnier de la microscopie, que l’on rencontre au premier étage du musée. Commerçant de tissus de formation, Van Leeuwenhoek développa une passion pour la fabrication de lentilles optiques. Grâce à ses microscopes rudimentaires mais d’une précision redoutable – dont le musée possède une incroyable panoplie - il observa pour la première fois les « animalcules », micro-organismes présents dans l’eau, le sang ou la plaque dentaire. Ses lettres à la Royal Society de Londres (plus de 300 entre 1673 et 1723) ont fait sensation : Van Leeuwenhoek devint le premier à documenter le monde invisible, ouvrant la voie à la microbiologie et à l’hygiène moderne. Inutile de préciser que l’invention du microscope transforma aussi le domaine de la pharmacie, en lui permettant d’identifier les agents pathogènes, de contrôler la pureté des substances et d’affiner les diagnostics.
Aux Pays-Bas, cette révolution optique, également visible dans la touche extraordinairement précise des peintres, s’accompagne d’une réforme des pratiques : les pharmaciens sont devenus des acteurs clés de la santé publique, garants de la qualité des remèdes et de la traçabilité des ingrédients. Le petit musée de Delft conserve les traces de cette mutation, à travers ses instruments de mesure, ses registres d’ordonnances et ses objets de laboratoire. On ne s’étendra pas sur l’étonnante collection d’appareils documentant les accouchements, sur les modèles en cire médico-pathologiques permettant aux médecins de reproduire l’anatomie et de mieux localiser les douleurs des patients ou sur les objets se rapportant à l’histoire de la dentisterie…
Le Muséum De Griffioen regorge de curiosités pharmaceutiques et médicales fascinantes qui sont régulièrement enrichies par des dons d’anciens professionnels de santé. Complètement méconnu, il brille par la modestie de sa façade et la richesse de son intérieur, à découvrir sur rendez-vous. Un détour incontournable pour tous les amoureux de l’histoire pharmaceutique, entre la visite du musée Mauritshuis à La Haye, pour admirer la fameuse Vue de Delft de Vermeer qui a tant fasciné Marcel Proust, et celle du musée de la porcelaine de Delft, aujourd’hui intégré sur le site de la Royal Delft, célèbre manufacture encore en activité depuis 1653, qui a notamment donné lieu à la fabrication de pots à pharmacie en faïence bleue et blanche, conservés au Muséum De Griffioen mais aussi au Rijksmuseum d’Amsterdam ou Musée de la pharmacie de Bâle.
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