« Le cancer du pancréas est en train de devenir un problème de santé publique, alerte d’emblée le Dr Clélia Coutzac, gastro-entérologue oncologue au Centre Léon Bérard (Lyon). Il est en hausse constante depuis les années 1990, essentiellement dans les pays occidentaux, et, même s’il est découvert le plus souvent après 70 ans, il survient de plus en plus tôt, dès 50 ans. C’est actuellement le 7e cancer en termes d’incidence, mais avec une augmentation de 2 à 3 % chaque année, les projections à l’horizon 2030-2040 sont alarmistes. » En France, on estime que 15 991 nouveaux cas seront enregistrés en 2023 (8 323 chez les hommes, 7 668 chez les femmes), contre 2 073 en 1990 et 14 000 en 2018. À noter : entre 2018 et 2023, le taux d’incidence annuel a davantage progressé chez les femmes (+ 2,1 %) que chez les hommes (+ 1,6 %).
Un « tueur silencieux »
Or, si le cancer du pancréas reste encore relativement rare par rapport aux cancers du poumon, du sein, de la prostate et du côlon, il est de très mauvais pronostic. Actuellement 4e cause de décès par cancer (5 790 en 2018 en France), il est en passe de prendre la 2e place, après le cancer du poumon, en Europe et aux États-Unis. Il s’agit en effet d’un « tueur silencieux ». Quel que soit son type - adénocarcinome canalaire, le plus fréquent, ou tumeur neuroendocrine dans 10 % des cas -, ce cancer peut évoluer longtemps en silence, jusqu’à 15 ans.
De surcroît, les symptômes sont variables selon la localisation et peu spécifiques : douleurs épigastriques diffusant dans le dos, amaigrissement important et rapide, fatigue, jaunisse (souvent accompagnée de prurit), nausées, diabète décompensé, pancréatite aiguë. Quand ces symptômes se manifestent, le cancer est déjà à un stade avancé, inopérable dans 55 % des cas, et la survie médiane est alors de 12 mois. De plus, cette grosse glande, située profondément juste derrière l’estomac, est entourée de vaisseaux sanguins vitaux. Même quand le cancer est « seulement » localement avancé, la chirurgie est souvent rendue impossible par cette proximité. Seulement 15 % sont opérables ; dans ce cas la survie médiane est de 35 à 50 mois au lieu de 18 à 20 mois.
Tumeur opérable ou pas
En l’absence de test sanguin et de marqueurs tumoraux spécifiques, le diagnostic passe par le scanner et l’IRM, puis l’écho-endoscopie haute avec biopsie. « En pratique, on fait généralement les trois examens. Mais l’écho-endoscopie comporte un risque et sa valeur prédictive n’est que de 65 % », précise le Dr Coutzac. Si le bilan d’extension montre un cancer inopérable, la chimiothérapie s’impose mais le pronostic est alors très sombre. Le traitement le plus efficace reste la chirurgie, au demeurant complexe : une duodénopancréatectomie céphalique quand la tumeur se situe dans la tête du pancréas, avec ablation d’une partie de l’intestin et de l’estomac, de la vésicule biliaire et de la rate pour éviter le développement du cancer sur ces organes, et une splénopancréatectomie (plus facile) quand elle se trouve dans la queue du pancréas. Dans tous les cas, une chimiothérapie adjuvante est nécessaire pour diminuer le risque de rechute.
Jusqu’ici, le médicament de référence était la gemcitabine. Grâce aux travaux d’une équipe française, il est aujourd’hui remplacé par le Folfirinox, un traitement assez lourd, associant plusieurs molécules, qui augmente la survie globale à 72 mois (43,2 % versus 31,5 %). Le patient doit cependant être en bon état général et ne pas présenter d’ictère, mais des soins de support doivent être mis en place dès le début. S’il est fragile, le traitement reste la gemcitabine. C’est déjà un progrès mais nul doute que la recherche, active dans plusieurs directions - marqueurs et tests, traitements personnalisés comme pour les cancers du poumon et du mélanome, facteurs de risque extrinsèques (pollution, alimentation…) -, apportera d’autres réponses.