Après une saison 2024-2025 marquée par un nombre important de décès liés à la grippe (plus de 17 500 au niveau national), les Français sont nombreux à ne pas avoir attendu pour venir se faire vacciner cette année. À la date du 3 décembre, « 9,9 millions de doses ont déjà été délivrées en officine, un chiffre nettement supérieur à celui enregistré à la même période l’année dernière (+ 16,14 %) », s’est félicité la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF). Sur ce total, les pharmaciens ont administré eux-mêmes 6,4 millions de doses, un chiffre en hausse de 34 % par rapport à l’an dernier.
Un engouement qui n’a provoqué qu’une seule inquiétude : les pharmaciens auront-ils suffisamment de doses pour tenir tout l’hiver ? Une semaine plus tôt, le 27 novembre, l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO) avait en effet alerté. Il restait alors « moins d’une semaine de couverture au niveau national, avec déjà des situations de rupture localisée observées sur le terrain ». Afin de prévenir tout risque de pénurie importante, le syndicat a donc tiré la sonnette d’alarme et saisi le cabinet de la ministre de la Santé afin de demander la mobilisation rapide du stock de sécurité de l’État de Vaxigrip. Une demande à laquelle la locataire de l’Avenue de Ségur, Stéphanie Rist, a accédé sans résistance. « Pour accompagner la période des fêtes et éviter toute tension », le gouvernement va « libérer progressivement les doses supplémentaires déjà sécurisées, afin de continuer à répondre aux besoins partout sur le territoire », a-t-elle annoncé le 29 novembre sur « franceinfo ».
La ministre s’est aussi voulu rassurante sur la disponibilité de doses alors que l’épidémie commence en France. « Plus de 90 % des pharmacies ont plus de dix boîtes en réserve. L’approvisionnement est solide et suffisant, avec une disponibilité qui permet à chacun d’accéder à la vaccination sans difficulté », a-t-elle résumé, tout en concédant l’existence de « tensions locales ».
Des doses encore en stock et pas de pénurie en vue
Pour Pierre-Olivier Variot, président de l’USPO, il était cependant important d’alerter tôt, car les pharmacies « risquaient de ne plus avoir de doses » à plus ou moins courte échéance. Depuis, certaines informations qu’il a pu obtenir l’ont rassuré. « Des industriels (comme CSL Seqirus, qui commercialise Fluad et Efluelda) avaient encore des stocks, mais les grossistes ne les avaient pas commandés. Il a donc été demandé à ces derniers de s’approvisionner pour qu’ils reconstituent leurs stocks. » Le président de l’USPO avait aussi mis en garde sur l’importance d’un approvisionnement fluide et rapide des doses supplémentaires que l’État s’est engagé à mettre à disposition. « On nous a indiqué que ces doses seraient distribuées via les grossistes. Donc, si nous en commandons le matin, nous serons livrés l’après-midi », précise-t-il. Des éclaircissements qui écartent pour l’instant tout risque de pénuries ou tensions importantes durant les fêtes. « Je ne pense pas que nous en aurons », estime-t-il en effet.
Comme le rappelle en effet la FSPF, « un stock de réserve de 1 million de doses a été constitué par l’État (…) permettant de garantir un taux de vaccination de 25 % supérieur à celui de l’année dernière ». Les doses issues de ce stock géré par l’État devraient être débloquées « avant Noël », assure Philippe Besset, pas inquiet sur la capacité du réseau à satisfaire la demande des patients. « Les pharmaciens peuvent encore délivrer 1,5 million de doses déjà commandées et qui sont dans leurs frigos, a-t-il précisé lors d’une visioconférence le 5 décembre. Les grossistes-répartiteurs et les laboratoires ont encore un peu plus d’un million de doses en stock et à cela s’ajoute donc le stock constitué par l’État d’un million de doses », énumère le président de la FSPF. Les pharmaciens ont donc la capacité de vacciner 14 millions de personnes, si l’on additionne les doses déjà délivrées et les stocks encore disponibles. Si l’on suit la tendance actuelle, avec une hausse d’environ 16 % du nombre de vaccinations par rapport à l’an dernier, on peut donc estimer qu’entre 12,5 et 13 millions de patients seront immunisés en fin de campagne. « Il reste donc de la marge », rassure le président de la FSPF.
Un pharmacien sur cinq pense ne pas avoir assez commandé
La saison dernière, la question du manque de doses en officine s’était déjà posée, mais plutôt au début du mois de janvier, alors que le pic de l’épidémie, particulièrement tardif, n’avait pas encore été atteint. Selon une enquête proposée le mois dernier par « Le Quotidien du pharmacien », 79 % des officinaux estimaient avoir commandé suffisamment de doses pour la campagne en cours. A contrario, ce résultat montre tout de même qu’un pharmacien sur cinq admet aujourd’hui n’avoir pas bien estimé le nombre d’unités dont il avait besoin. En fin de saison dernière, au vu de la gravité de l’épidémie et anticipant une demande plus importante cette année, la FSPF avait conseillé aux officinaux de commander 10 % de doses de plus pour la saison vaccinale en cours.
Le pharmacien ne doit pas être le seul à assumer des pertes financières
Depuis qu’ils sont autorisés à effectuer cet acte, les officinaux sont chaque année confrontés au même dilemme : que faire des doses qui n’ont pu être écoulées ? « Il n’y a aucune raison pour que le pharmacien soit le seul acteur d’une campagne nationale, dont il ne maîtrise ni la communication ni la répartition, à subir les pertes financières lorsqu’il se retrouve avec des doses en stock », déplore Guillaume Racle, élu USPO, qui estime que « 100 doses sur les bras effacent la marge faite sur une campagne entière ». « Nous n’avons aucun moyen d’anticiper la gravité de l’épidémie ou la mobilisation des patients. Pourquoi l’État, les grossistes, les laboratoires, ne supporteraient pas une partie des pertes financières ? » En effet, les laboratoires ne reprennent pas toujours les vaccins en surplus ou posent des conditions, qui en font un enjeu de négociations commerciales.
L’approvisionnement serait-il plus fluide et efficace si l’État détenait entièrement le stock et le distribuait en fonction des besoins ? D’après la question posée sur notre site la semaine dernière, 75 % des pharmaciens abonnés y sont opposés. Les dysfonctionnements de l’approvisionnement, à partir du stock État pendant la crise du Covid-19, ont laissé de profondes marques de défiance : complexité de la commande, doses arrivées trop tard, pertes financières pour l’État…
Le million de doses de Vaxigrip réservé cette année par le gouvernement auprès de Sanofi, suite à un appel d’offres, ne constitue pas à proprement parler un « stock État ». « Elles sont réservées auprès de Sanofi par l’État, mais pas achetées, explique Guillaume Racle qui a participé à des échanges avec le ministère. Lorsqu’elles sont libérées par le gouvernement, comme Stéphanie Rist l’a annoncé, les pharmaciens peuvent les acheter auprès des grossistes. Les doses réservées qui ne seront pas utilisées, en fin de campagne, devraient alors être payées par l’État parce que le laboratoire n’aura pas pu les mettre sur marché. » L’avantage de ce « stock réservé » ? Ce modèle simplifie le processus de commande et réduit les pertes financières pour les officinaux. « Nous devrions pouvoir commander au fil de l’eau, plutôt que de blinder nos frigos », ajoute Guillaume Racle. Ce dispositif, qui sera testé pendant les fêtes, doit encore faire ses preuves.
Le retour en grâce de la vaccination
Les indicateurs du début de la campagne de vaccination sont particulièrement encourageants. Les chiffres de GERS Data attestent d’une trajectoire à même d’atteindre une couverture vaccinale similaire à celle de l’année 2020, année Covid, la plus haute de ces 6 dernières années. Grâce à cette dynamique, il est certain que « nous allons contribuer à casser la cascade de transmission de la grippe », se réjouit David Syr, directeur général de GERS Data. Les moins de 65 ans sont 2,5 millions à avoir reçu un vaccin, alors qu’ils n’ont été que 2,3 millions sur toute la campagne de l’année précédente. La couverture est moins bonne pour les plus de 65 ans, pour lesquels la couverture vaccinale n’atteint que 54 %. De plus, seulement 25 % de cette population a reçu des vaccins hautement dosés. Un taux similaire à celui de la saison 2023-2024, mais au sein d’une population plus importante. « C’est un bon début, mais une difficulté à aller chercher cette classe d’âge toujours plus nombreuse persiste, note David Syr. On observe tout de même un retour en grâce de la vaccination, y compris pour des vaccins contre le zona ou les pneumocoques. Elle est la seconde contributrice de croissance du réseau officinal. Les sujets de prévention sont de plus en plus présents à l’officine. » Dès lors, dans le contexte de ce recours massif à la vaccination, un risque de pénurie se dessine-t-il à l’horizon ? Pas vraiment, répondent les chiffres. En l’état actuel des choses, « nous avons la capacité de satisfaire la demande jusqu’au 31 janvier, rassure Matthieu Remoissenet, directeur général France du laboratoire CSL Sequirus. Seulement, il faudrait rediriger l’usage des différents types de vaccins selon les recommandations préférentielles de la Haute Autorité de santé. » En un mot, pas de pénurie à l’horizon, mais trop de vaccins classiques sont administrés aux plus de 65 ans, plutôt que les hautement dosés qui leur sont préférentiellement recommandés. Une analyse qui corrobore les chiffres indiqués par David Syr. « Je pense que la question serait plutôt de se demander qui endosse le risque financier s’il y a un stock résiduel », interroge ce dernier. En d’autres termes, s’il restait des doses à la fin de la campagne, qui des officinaux, des grossistes, des industriels ou de l’État mettra la main au portefeuille ?
Arthur-Apollinaire Daum
PLFSS
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