Un « point de conseil » qui masquait une pharmacie…

Nouveau coup d'éclat de Doc Morris en Allemagne

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Publié le 27/04/2017
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Paisible bourg de 2 000 habitants niché dans les collines du nord de la Souabe, Hüffenhardt a été, durant deux jours, au centre de toute la vie pharmaceutique allemande : mercredi dernier, Doc Morris y ouvrait sa première pharmacie vidéo… fermée 48 heures plus tard par les autorités préfectorales pour infractions graves à la législation pharmaceutique.
Doc Morris

Doc Morris

En 2015, le titulaire de la seule pharmacie d’Hüffenhardt prend sa retraite sans trouver de successeur, au grand dam de la mairie qui, propriétaire des murs, part à la recherche d’une solution de remplacement… et la trouve auprès de la pharmacie virtuelle néerlandaise Doc Morris. Les deux partenaires décident de transformer l’officine en un « point de conseil » dans lequel les clients pourraient dialoguer en vidéo avec un pharmacien installé à… Heerlen aux Pays-Bas. En tant que diplômé, ce dernier est donc habilité à leur délivrer tous les médicaments prescrits par les médecins, soit au tarif allemand, soit sur commande au tarif néerlandais parfois moins cher. Après des mois de préparation, la pharmacie d’Hüffenhardt, précautionneusement rebaptisée « Point de conseil Doc Morris », a ouvert ses portes mercredi après-midi, attirant d’ailleurs, selon la presse, nettement plus de journalistes que de patients.

Accueillis par une « Welcome Manager », les clients pouvaient y acheter des OTC ou, après un entretien vidéo, faire honorer leur ordonnance. Le « terminal de distribution », selon la terminologie soigneusement élaborée, était en mesure de distribuer sur place 8 000 médicaments, la délivrance ne s’effectuant toutefois qu’à l’initiative du pharmacien relié par vidéo au patient. Pour Doc Morris, qui avait obtenu le soutien des autorités régionales du Bade-Wurtemberg dans le cadre des expérimentations digitales menées par ce Land dans les zones rurales, cette initiative constitue une réponse d’avenir à la fermeture des officines dans les secteurs isolés.

Toutefois, le fait que des médicaments soient distribués sur place, même si le « bras » du pharmacien se trouve à plusieurs centaines de kilomètres du comptoir, a changé la nature du projet, ont estimé les autorités sanitaires de la préfecture, à Karlsruhe. Pour elles, il ne s’agit plus d’un conseil pharmaceutique et d’une vente par correspondance, comme elles l’avaient autorisé, mais bien du remplacement d’une pharmacie par un automate. Pour cette raison, elles ont donc envoyé dès vendredi deux fonctionnaires procéder à la fermeture de l’établissement, au grand dam de Doc Morris… et au soulagement des pharmaciens des communes voisines, qui avaient d’ailleurs, dès 2015, installé des services de collecte d’ordonnance pour les habitants d’Hüffenhardt.

L’histoire risque de ne pas en rester là, quand on connaît la hargne juridique de Doc Morris, engagé depuis plus de quinze ans dans un nombre impressionnant de procès avec les autorités : s’il en perdu beaucoup, il a aussi réussi, à plusieurs reprises, à faire évoluer les législations en sa faveur. Et la société, arguant que son pharmacien n’est pas sur place mais aux Pays-Bas, continue d’affirmer que la pharmacie d’Hüffenhardt n’en est pas une, mais uniquement un « point de conseil avec un terminal de distribution ».

Denis Durand de Bousingen

Source : Le Quotidien du Pharmacien: 3346