Identifiée au début de siècle dernier par Aloïs Alzheimer, un médecin allemand, la maladie qui porte désormais son nom est la pathologie neurodégénérative la plus fréquente. En France, en 2023, l’assurance-maladie indique avoir pris en charge 709 500 personnes pour « démence, dont maladie d'Alzheimer » et plus de 850 000 personnes vivraient avec cette maladie. À l’instar de bien d’autres affections, elle ne dispose d’aucun médicament. Les quelques traitements symptomatiques anciennement recommandés (Ebixa, Aricept, Exelon et Reminyl) ont été déremboursés en 2016, à la suite d’un avis défavorable de la Commission de la transparence (CT) de la Haute Autorité de santé (HAS). Par conséquent, au regard du pronostic sombre que fait peser la découverte de cette maladie, il est aisé de comprendre les expectatives des patients lorsqu’a été annoncée l’arrivée prochaine d’une nouvelle classe de traitement, agissant sur l’origine supposée de la maladie. Bien qu’elle soit parfois remise en question, la principale piste quant à la cause de la maladie d’Alzheimer demeure l’hypothèse selon laquelle ce serait l’accumulation de plaques amyloïdes dans le cerveau qui engendrerait la maladie. Un « dépôt amyloïde » que les industriels se proposent de réduire, en dirigeant contre celui-ci des anticorps anti-substances amyloïde. Ainsi, en juin 2021, l’Aduhelm (aducanémab) reçoit son autorisation de mise sur le marché (AMM) de la Food and Drug Administration (FDA), l’autorité sanitaire américaine et ce, malgré un avis défavorable de son comité d’expert. Aucun traitement n’avait été approuvé depuis plus de 15 ans, c’est alors un séisme pour la communauté Alzheimer.
Dans la foulée, le laboratoire obtient aussi une AMM états-unienne pour un second anticorps anti-plaques amyloïdes bêta, le Leqembi (lécanémab). Les premières évaluations de ces anticorps monoclonaux, promettent de ralentir de 22 %, au plus, l’apparition des symptômes pour le premier et de 27 % pour le second. Cependant, ces molécules sont loin d’être miraculeuses. La FDA limite rapidement leur indication à une population restreinte de patients, en raison d’effets secondaires fréquents et graves, parfois mortels. Des conséquences qui conduisent l’Agence européenne du médicament (EMA), à dire non au premier et à tergiverser à propos du second. D’abord retoqué, le lécanémab obtient finalement son AMM européenne fin 2024. Là encore, après que le laboratoire a réduit la population cible. En aval de la chaîne, en France, après l’EMA , c’est la Haute Autorité de santé (HAS) qui évalue les nouvelles thérapies, pour statuer sur la prise en charge par la solidarité nationale. Une étape cruciale, d’autant que le prix de ces nouvelles thérapies dépasse les quelque dizaines de milliers d’euros par an. Elle est par conséquent scrutée et attendue autant par les experts, que par les malades et leurs familles, qui vivent dans l’espoir de la découverte d’un traitement.
Dès lors, la question du poids de ces acteurs dans le choix de la HAS se pose. En effet, dès 2022, la Société française de pharmacologie et de thérapeutique (SFPT) s’inquiète des résultats en demi-teinte fournis par le laboratoire lors de ses demandes d’AMM. Elle écrit même « qu’en dépit d’une diminution des plaques amyloïdes, aucun des anticorps anti-substances amyloïde n’a pu démontrer à ce jour un effet cliniquement pertinent permettant de soutenir un rapport bénéfice/risque favorable de ces médicaments. » En face, la Fédération des centres mémoire (FCM) publie en avril 2024, soit quelques mois après le refus d’AMM européenne pour l’aducanémab et le feu vert pour le lécanémab, des recommandations d’utilisation préliminaires, plaidant ainsi pour le recours à ces produits. Elle insiste toutefois sur l’encadrement strict des prescriptions et du suivi à mettre en place. Dès lors, dans un contexte où il n’existe aucune option thérapeutique pour une maladie mortelle, dans quelle mesure les positions publiques des associations de patients et des sociétés savantes peuvent-elles peser sur la décision de la HAS ?
Science, indépendance et transparence
D’aucune façon, répond l’institution, qui rappelle que ses mots d’ordre sont science, indépendance et transparence. Toute forme de pression, qu’elle émane des patients, des laboratoires pharmaceutiques ou des pouvoirs publics est combattue. « Notre caractéristique, notre force, c’est l’indépendance », martèle Pierre Cochat, président de la commission de la transparence (CT) de la HAS. Au sein de cet organe qui statue sur la prise en charge d’un produit par la solidarité nationale, « nous mettons tout en œuvre pour préserver notre indépendance, parce que sans elle, l’institution n’a plus de raison d’être. » Une indépendance qui ne signifie pas que les représentants des patients soient exclus des discussions. « Parmi les 29 membres de la CT, trois sont des experts patients (voir encadré), détaille Pierre Cochat. Ce sont des adhérents d’une association de malades, reconnus comme n’ayant aucun lien avec l’industrie pharmaceutique, qui portent ainsi leurs positions. » En outre, les associations de patients peuvent être amenées à être auditionnées par la CT. Cela a été le cas de France Alzheimer, dans le cadre de la demande d’accès précoce déposée pour le lécanémab. Une audition dont l’association est ressortie mécontente, dénonçant une prise en compte insuffisante de leur expérience. « Nous sommes consultés, mais pas écoutés, regrette Benoît Durand, directeur délégué de France Alzheimer. Lorsque l’on nous convie à une séance de questions-réponses de seulement 5 minutes, cela nous donne surtout le sentiment que c’est fait pour la forme. »
C’est toute la limite de la démocratie en santé. Comment tenir compte de l’avis des associations de patients et des malades qu’elles représentent, et qui sont les premiers concernés par les décisions, lorsqu’il va à l’encontre de celui de la HAS ? « L’avis des patients compte et il est de plus en plus pris en considération, et c’est une bonne chose, mais la démocratie sanitaire ça ne signifie pas dire que la décision relève d’un vote auprès de la population générale, argumente Dominique Deplanque, président de la SFPT, qui reconnaît cependant un rôle « d’aiguillon » pour les chercheurs ou les institutions publiques.
On ne peut pas dire que les associations soient souvent entendues
Yann Mazens, chargé de mission Produits et technologies de santé à France Assos Santé
Identifier un traitement ou une molécule d’intérêt qui ne dispose pas de cadre d’accès en France, puis porter le dossier auprès des institutions : ce parcours a pu être observé pour le baclofène, dans la prise en charge de l’alcoolisme, ou pour Kaftrio, afin de traiter la mucoviscidose, produit commercialisé dans plusieurs pays occidentaux, mais pas encore en France. Pour le premier produit, les acteurs associatifs ont relayé et porté jusqu’aux institutions une discussion publique ouverte grâce à un livre faisant état d’une piste sérieuse. Dans le cas du second traitement, c’est l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), qui a fixé un Cadre de prescription compassionnelle (CPC), sur demande des associations Vaincre la mucoviscidose et l’Association Grégory Lemarchal, notamment à la suite d’une pétition. « Ce sont des démarches que l’on voit assez souvent depuis la réforme du CPC en 2021, mais on ne peut pas dire que les associations soient souvent entendues, commence Yann Mazens, chargé de mission Produits et technologies de santé à France Assos Santé. L’exemple de Kaftrio est bon, mais Vaincre la mucoviscidose a dû déployer des trésors de ressources pour être entendue et la plupart des associations de malades ne disposent pas de cette puissance de frappe. » L’enjeu est alors de faire plus vite, sans faire moins bien. Dans l’analyse de dossiers, cela demande du temps de cerveau disponible, et à l’ANSM, « sans leur jeter la pierre, parce qu’il y a là aussi un sujet, on semble plus occupé à gérer la pénurie qu’à développer des cadres de prescription compassionnelle », achève Yann Mazens.
« Expert patient » ou « patient-expert » ?
À l’instar des autres membres de la Commission de la transparence, les usagers/patients qui y siègent ont le statut d’expert. Ils sont patients (par opposition aux professionnels) d’où l’expression « experts patients ». Ils apportent leurs savoirs expérientiels et parlent en leurs noms. Le « patient-expert » désigne une personne qui a développé au fil du temps une connaissance fine de sa maladie et qui dispose ainsi d’une réelle expertise dans le vécu quotidien d’une pathologie ou d’une limitation physique liée à son état. C’est une des « figures », ou « profils », de patient engagé. Il intervient, entre autres, dans les programmes d’éducation thérapeutique à l’hôpital.
A.-A.D.