Le Quotidien du pharmacien. - Où en sont les pharmaciens français vis-à-vis de la santé numérique en 2021 ?
Gilles Braud. - Selon le dernier baromètre du pharmacien connecté (7e édition, DEKRA Certification), plus de huit pharmaciens sur dix ne recommandent pas d’application en santé à leurs patients. À l’inverse, la pandémie de COVID est associée à une augmentation nette du recours au numérique. Globalement, on estime que 80 % des personnes qui entrent dans une pharmacie sont équipées d’un smartphone, et dans près d’un cas sur deux, ces visiteurs ont téléchargé au moins une application santé. Cela signifie, et c’est regrettable, que les patients se passent en grande partie des pharmaciens pour choisir ces produits digitaux. Ma crainte est qu’on assiste à un décalage entre une clientèle de plus en plus connectée et des pharmaciens en retrait, avec comme conséquence une marginalisation de la profession dans le domaine de la santé numérique face aux GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft) et autres géants du numérique qui investissent énormément dans la e-santé, l’intelligence artificielle et les objets connectés. L’enjeu est donc de préserver le rôle clé du pharmacien dans le parcours de soins du patient. C’est d’autant plus stratégique que le pharmacien est particulièrement légitime pour conseiller une application en santé : il connaît bien sa clientèle, il est reconnu comme expert des produits de santé et il bénéficie d’un fort taux de confiance.
Quels sont les freins à cet engagement ?
Dans l’enquête que nous avons réalisée, un des principaux motifs invoqués est un défaut d’information pour déterminer quelle application recommander. Parmi les autres motifs déclarés, on note la méfiance et l’absence de demande de la part des clients. Le pharmacien a du mal à appréhender l’intérêt d’une application en santé, principalement parce qu’il n’est pas formé ni sensibilisé à ces outils. En effet, il existe peu de formations dédiées à la e-santé, comme le DU (diplôme universitaire) créé à Montpellier (faculté de pharmacie) en partenariat avec DEKRA certification. De son côté, l’ANEPF (Association nationale des étudiants en pharmacie français) prône l’intégration d’une formation dédiée à la santé numérique dans le cursus universitaire.
Quelles sont les perspectives pour développer l’adhésion du pharmacien aux applications de santé ?
Comme prévu dans le plan « Ma Santé 2022 », tous les assurés sociaux vont disposer au 1er janvier 2022 d’un espace santé numérique personnalisé dénommé « Mon espace santé ». C’est une réelle opportunité pour les pharmaciens, qui pourraient se positionner comme promoteur de ce dispositif sur le terrain. Les patients vont avoir besoin d’un accompagnement afin de comprendre l’intérêt, pour eux, de disposer de cet espace numérique individuel. Dans « Mon espace santé », il y aura un store d’applications et les liens vers des sites fiables et sûrs. Mais l’appropriation de cet espace par le patient ne sera pas optimale si personne ne l’aide dans cette démarche. Cette mission pourrait être un axe de discussion entre l’assurance-maladie et la profession.