À 40 ans cette année, Antoine Prioux détonne sur la scène officinale. Le titulaire de la pharmacie de Sornac en Corrèze a été condamné à six mois d’interdiction d’exercer, dont quatre avec sursis – une décision qu’il conteste en appel - pour avoir dispensé des médicaments à l’unité, hors du cadre réglementaire. Sa désobéissance civile s’inscrit dans une démarche éthique : trouver un moyen simple pour servir ses patients en médicaments à risque de rupture. Et sans gaspiller. Car il refuse l’idée que « plus la santé publique est dégradée, plus la santé financière des pharmacies prospère ».
Prendre de la hauteur
Sa révolte ne date pas d’hier. Arrivé sur les bancs de la faculté de Limoges, ce fils d’un officinal et d’une médecin s’inquiète vite du modèle économique des pharmacies. Quand ses camarades bachotent, lui lit le Rapport Meadows, intitulé « Les Limites à la croissance (dans un monde fini) »*. Le texte donne des éléments « de prospective face à l’épuisement des ressources naturelles et l’impact sur des sociétés capitalistiques », précise celui qu’on surnomme le « pharmacien punk ». De fait, il a été chanteur dans un groupe punk rock pendant ses années de lycée et d’université. À l’époque, c’est aussi un jeune comme les autres qui fait la fête. Un peu trop même ! Dans le paysage gris de son « malaise psycho-social », la loi HPST vient tel un rayon de soleil. « Elle a eu le mérite d’ouvrir de nouvelles voies pour les maisons de santé et le pharmacien correspondant », retient-il. Dans la foulée naît le pôle de santé Réseau Millesoins sur le Plateau de Millevaches « pour permettre une justice distributive de l’accès aux médecins à l’échelle d’un territoire… », explique Antoine Prioux, coordinateur de la SISA. Là est mis en place, dès 2014, un système d’informations partagées qui permet un suivi de santé inédit. Dossiers patient et agendas professionnels sont accessibles à tous les membres. C’est une sorte de mix entre la e-prescription et Mon Espace Santé avant l’heure. L’étudiant révolté y trouve matière pour sa thèse sur le rôle du pharmacien dans les enjeux territoriaux de santé publique.
Après la théorie, la pratique
Diplôme en poche, Antoine Prioux enchaîne trois années d’assistanat. Il monte alors la Fédération limousine des maisons et pôles de santé. Il profite de ce temps pour aller voir ailleurs : à Chamonix, sur l’île de la Réunion… faire du ski, de la plongée… « J’ai fait ma life », sourit-il. Mais quand l’officine de Bugeat, sur le plateau de Millevaches, est à vendre, il se lance. On est en 2016, il passe de la théorie à la pratique. Sa pharmacie devient un laboratoire de recherches. Avec un développeur, il crée un logiciel pour optimiser les stocks sur la base d’un exercice coordonné. En 2019, il donne naissance à l’association « p4pillon ». Objectif : porter des recherches pour revoir l’exercice officinal. En 2024, solidaire de la population, il vend Bugeat à sa compagne (également condamnée) pour racheter une officine du territoire menacée de fermeture, à Sornac.
Des techniques simples
Dans son officine, les réflexions globales se traduisent en pratiques simples. Chaque patient habituel a, par exemple, son carton et ses traitements classés par semaine et selon des prescriptions sur une base hebdomadaire, pour simplifier la logistique. C’est autant de temps de gagné pour mieux accompagner la population. Surtout Antoine Prioux travaille désormais avec seulement trois livraisons par semaine. Et bientôt deux ! Une action écoresponsable s’il en est quand on sait le poids du transport dans l’empreinte carbone des médicaments. « C’est un pionnier ! » résume Olivier Toma, fondateur de l’agence de coaching en développement durable Primum Non Nocere. La titulaire Laëtitia Hible, également présidente de l’association Pharma système qualité, n’y voit pas « qu’un agitateur, il va au bout de sa réflexion. Il est là pour bâtir », estime celle à l’initiative du label Ecor, pour les pharmacies certifiées ISO 9001 écoresponsables. « Il va très loin dans sa recherche pour l’écoresponsabilité et l’évolution nécessaire du système de santé. Sa réflexion est très documentée. Avec des citations et termes techniques, il effraie parfois jusqu’à passer pour un hurluberlu. Or il faut l’écouter. Il est profondément humain et mène son combat pour les patients et les pharmaciens. »
Agir pour survivre
Alors qu’il a toujours parlé de ses travaux avec le CROP de Nouvelle Aquitaine, Antoine Prioux, par ailleurs engagé dans les collectifs The Shift Project et Alliance Santé Planétaire, assume ses dispensations à l’unité (DAU) mais s’insurge contre sa condamnation face aux enjeux des pénuries. D’ailleurs, fidèle à son cap solidaire, il a un autre projet en tête : fonder une coopérative territoriale pharmaceutique sur le secteur de MilleSoins. Avec un but : « mutualiser des compétences, des ressources (N.D.L.R. comme la PDA, le MAD, la téléconsultation…), et être dans des capacités d’entraide sur les plans humain et économique », espère-t-il. En attendant que ce soit possible juridiquement, cet impatient poursuit sa réflexion. Mais comment ne pas perdre espoir ? « Il faut se projeter dans des récits qui permettent une bifurcation », répond le pharmacien qui apprécie de plus en plus la pensée de Bertrand Steigler, philosophe opposé aux « dérives libérales » de notre société et… ancien braqueur de banque. Aujourd’hui père de deux enfants, profitant autant des moments de joie entre amis et le militantisme, Antoine Prioux a abandonné la crête des punks. Pas leur goût pour l’action directe !
Connu sous le nom de Rapport du club de Rome, ou encore de Rapport Meadows, du nom de ses auteurs, les écologues Donella Meadows et Dennis Meadows, il a été publié en 1972 avec des mises à jour en 1992, 2004 et 2012.